AFFAIRE 236HA : le mémorandum de l’association pour le développement de bandia lors de sa marche du 5 septembre 2019

AFFAIRE 236HA : le mémorandum de l’association pour le développement de bandia lors de sa marche du 5 septembre 2019

5 septembre 2019 0 Par khalil
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Diass-Infos : Monsieur le Sous-préfet de l’arrondissement de Sindia,
L’Association pour le Développement de Bandia (ADB) a l’honneur de vous faire parvenir ce mémorandum pour attirer votre attention sur le foisonnement des carrières dans la forêt classée de Bandia et vous exprimer notre opposition aux 236 ha que l’Etat du Sénégal a octroyés à la société LES CIMENTS DU SAHEL dans la même forêt.

Toute l’humanité est consciente de l’importance des forêts dans la vie des êtres humains, des animaux et des espèces végétales. La conservation de la biodiversité est devenue un pari dans tous les pays du monde, notamment dans les zones côtières où les effets des changements climatiques sont très attendus. En effet, la préservation de l’environnement et des ressources naturelles doit être une priorité dans les politiques des pays en développement.

Malgré tout, les forêts sénégalaises commencent à perdre leurs valeurs écologique, biologique et biogéographique. Outres les déclassements abusifs et les multiples scandales géologiques, nos espaces forestiers sont considérés comme des proies aux grandes sociétés extractives. Ces prédateurs industriels, constitués généralement de multinationales, continuent de dilapider nos ressources et de détruire nos forêts devant la passivité ignorante de nos gouvernants. Cette situation alarmante et douloureuse affecte la forêt classée de Bandia dans la région de Thiès.

Cette forêt est créée en 1933 puis classée en 1935 par le pouvoir colonial français. Appelée communément « forêt rail », son rôle était d’approvisionner le chemin de fer de la France en bois de chauffe. Le « Sourour » était l’espèce végétale la plus recherchée à cause de ses vertus dans la fabrication artisanale du charbon de bois. Pour mémoire, retenons que la création de cette forêt a engendré le déplacement des habitants du village de Ndiorokh Ndoutane vers Bandia. Donc nos parents se sont sacrifiés au prix de leur vie culturelle et cultuelle pour que cette forêt classée de Bandia puisse exister avant d’être érigée en aire protégée. Son dernier plan d’aménagement remonte en 1981 dans le cadre d’un projet dénommé PARFOB.
La forêt de Bandia couvre une superficie de 11000 km2 et se situe entre les communes de Notto Diobass, Tassette, Diass et Sindia. Elle jouait un rôle très déterminant dans la vie des populations riveraines. Celles-ci y pratiquaient la chasse, la cueillette et le ramassage de bois morts. Elle était très sollicitée durant les périodes de soudure et en saison sèche pour le renouvellement des concessions, des cases et des clôtures en latte de bambou. L’apiculture demeure, cependant la principale activité des groupements de femmes. Mais la présence des carrières constitue un véritable goulot d’étrangement qui compromet la vie des populations.

Le foisonnement des carrières est devenu un véritable obstacle pour nous. Entre 2000 et 2019, le nombre des carrières autorisées est passé de 2 à plus d’une vingtaine. Ces statistiques sont si impressionnantes que Bandia figure sur la liste des villages les plus pollués de la planète. Après avoir attribué 2500 ha à la réserve animalière de Bandia et l’étendue des périmètres de production industrielle et minière, nous assistons à un charcutage de la forêt par les ministères de l’environnement et des mines. Que reste-t-il de la forêt de Bandia ? Il est évident qu’à ce rythme de pillage des ressources les agents forestiers se retrouveront bientôt au chômage.

Ces pléthores de carrières, concentrées dans la partie ouest de la forêt, constituent un danger pour les populations riveraines. Les maladies cardiovasculaires, pneumologiques, pulmonaires et respiratoires sont devenues fréquentes dans le village et ses environs. Cette assertion est soutenue par les résultats du diagnostic et du monitoring dans les différents postes de santé. En plus des cas de décès constatés ces deux dernières années, généralement des jeunes, deux parmi nous se battent désespérément contre la mort. Il s’agit d’Assane Ndione et Abibou Loum, respectivement atteints de problème cardiaque et de tuberculose. Le premier est interné dans une clinique à Sindia tandis que le jeune Abibou, très atteint a finit par renoncer à ses études. Un simple dépistage confirme l’endémicité du village à ces maladies récurrentes.

Au plan socioéconomique, il faut noter qu’il n’existe plus de lien affectif entre la forêt et les populations. La forêt ne nourrit plus son homme à Bandia! L’apiculture qui demeure l’activité phare des groupements de femme a connu une baisse spectaculaire. Les rendements annuels de production de miel passent de plus d’une tonne en l’an 2000 à moins de 100 kg en 2018. Ainsi, la pauvreté s’accentue dans nos campagnes soumises à mutations très profondes. Il s’y ajoute que le système de minage porte des atteintes aux espèces végétales, aux animaux et à notre cadre de vie. Le dépôt du calcaire sur les feuilles des arbres entraine une déforestation anthropique et ne favorise pas la régénérescence de certaines espèces en « disparition ».
Cette agression permanente et volontaire sur la végétation n’a pas laissé indifférente la faune qui disparait progressivement en allant chercher refuge au niveau de la réserve de Bandia. Les détonations émanant des mines de carrières perturbent la quiétude des abeilles dont le couvert édaphique est entaché de calcaire et fragilisent nos habitations. Les murs des maisons sont fissurés et les durées de vie des bâtiments et des clôtures sont relativement faibles. Les arbres fruitiers ne produisent plus à cause de la pollution et de l’usage des produits chimiques.

Malgré tout, il faut noter que ces carrières ne soutiennent pas, de manière significative, nos stratégies et projets de développement. Elles ne se soucient même pas des opérations dites « de restauration des excavations » pour garantir la sécurité du bétail en quête de pitance et amorcer des projets d’aménagement destinés à la reconversion des zones de production. Le village de Bandia compte une population de 3000 habitants inégalement répartis dans les trois quartiers de Séssène, Ndiorokh Ndoutane et Mbambara. Le manque d’eau potable constitue la principale préoccupation des populations. Les populations éprouvent des difficultés à accéder aux services de base. Le village ne dispose que de deux écoles élémentaires et deux cases de santé qui ne sont pas bien équipées. La présence des carrières tue le village à petit feu.

Conscientes de cette situation alarmante, les populations villageoises ont interpellé l’ADB pour lui demander d’une part de porter le combat contre la dégradation de la forêt et d’autre part, de s’opposer farouchement aux 236 ha que l’Etat a octroyé aux Ciments du sahel. C’est dans ce cadre précis que la marche pacifique du Jeudi 5 Septembre 2019 est initiée par l’ADB pour alerter l’opinion nationale et internationale sur la confiscation d’une partie de la forêt par cette dite société. Nous dénonçons avec la plus grande énergie les procédures d’attribution de ces 236 ha car les populations ont dit majoritairement « NON » à ce projet colonisateur lors de l’audience publique tenue le 27 mai 2019 à Bandia Mbambara.

Monsieur le Sous-préfet, le Représentant de l’Etat et chargé du commandement territorial, l’ADB sollicite votre arbitrage sur conflit foncier qui nous oppose aux Ciments du Sahel. La forêt est un bien commun donc nous n’accepterons pas qu’elle soit confisquée. Sur ce, nous avons élaboré ce mémorandum pour exiger les points ci-après ::
– L’arrêt immédiat et sans condition des travaux sur le site en conflit;
– La restauration de toutes les zones d’excavation en collaboration avec les populations;
– La suspension de la délivrance des permis d’exploitation dans la forêt de Bandia ;
– Le reboisement intensif et extensif des zones impactées ;
En effet, l’association a inscrit dans ses perspectives des projets de normalisation liés à une gestion endogène et harmonieuse de la forêt. Elle compte travailler en synergie avec les ministères de l’environnement et des Mines en particulier le service des eaux et forêts pour :
– Une évaluation environnementale de toute la forêt ;
– Un aménagement intégré des espaces forestiers ;
– Une revalorisation des activités socioéconomiques ;
– L’aménagement de bassin de rétention pour la régénérescence des écosystèmes ;
– Des opérations de restauration des zones d’exploitation en collaboration avec les populations riveraines au profit des agro-industries locales.
– La revitalisation des affluents du bassin versant de la Somone ;
– La lutte contre l’avancée du biseau salé sur les terres de culture ;
– L’affectation d’une partie de la forêt pour des activités agricoles et maraichères ;
– L’aménagement de zones de zones de parcours du bétail et des abreuvoirs naturels ;
– La participation effective des populations aux opérations de reboisement ;
– Développer des projets de récupération et de séquestration du carbone ;
– Le développement de stratégies de résilience aux effets de changement climatique ;
– Le développement d’une bonne politique de gouvernance des espaces forestiers.

Cette marche constitue la phase préliminaire et pacifique de notre combat pour le respect et la préservation de l’environnement et de nos ressources naturelles. Nous exigeons l’annulation d’un éventuel décret portant sur le déclassement des 236 ha au profit des Ciments du Sahel. Nous invitons Layousse et compagnie à mettre fin à son expansion hégémonique dans la forêt et à inscrire dans sa politique une ligne directrice de conservation de l’environnement et des ressources naturelles. Nous n’acceptons pas le principe pollueur payeurs et considérons la RSE comme une sorte de leurre. L’association est ouverte au dialogue et à la discussion mais elle ne négociera jamais sur l’attribution de ces 236 ha. La population de Bandia avait dit NON, elle continue à dire NON et elle dira toujours NON. Si toutefois nos revendications ne sont pas prises en compte, nous solliciterons une audience auprès du Chef de l’Etat pour lui faire part de la situation ou adopter d’autres formes de lutte.

Dans l’attente d’une suite favorable à notre requête, nous vous remercions d’avoir autorisé la marche et vous prions, Monsieur le Sous-préfet, de croire à nos sentiments déférents
Le président de l’association
Dr Mame Cheikh NGOM