AGROÉCOLOGIE AU SENEGAL: miser sur l’agroécologie pour un développement plus durable

AGROÉCOLOGIE AU SENEGAL: miser sur l’agroécologie pour un développement plus durable

21 octobre 2020 0 Par khalil
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Depuis trois ans, les agriculteurs de la région de Fatick se convertissent à des modes de production plus respectueux de l’environnement, qui ont rapidement porté leurs fruits
Pape Dione a pu acheter une nouvelle parcelle grâce à la vente de ses piments, abondants grâce aux pratiques agroécologiques comme la pépinière sur pilotis.
Diatta Diouf remonte son seau du puits. D’un geste précis, le père de famille arrose ses plants de piment, soucieux que chaque pied en reçoive suffisamment pour que le fruit grossisse. L’agriculteur aime cette juste mesure autant que l’harmonie qu’il a créée avec sa terre depuis qu’il n’utilise plus aucun engrais ou pesticide chimiques.
Son voisin, Pape Dione, 53 ans, a, lui aussi, complètement changé les modes de culture. Sous un arbre au milieu de son champ d’un demi-hectare, il a installé une pépinière sur pilotis pour faciliter la levée des semences de piment vert et réduire son taux de perte. En moins de deux ans, ses rendements ont suffisamment augmenté pour lui permettre d’acheter un nouveau terrain. Et pour poursuivre sur sa lancée, il a même posé les bases d’un poulailler, qui lui permettra bientôt de diversifier ses revenus.
Augmentation de 190 % des revenus
Déjà, le père de famille est fier de pouvoir payer les fournitures scolaires de ses enfants et les frais médicaux pour son épouse, malade, explique celui qui a même employé un ouvrier pour l’épauler dans son développement. Chez Diatta Diouf aussi, la pauvreté s’éloigne doucement et la famille mange plus sainement, plus copieusement car l’argent qui allait aux engrais et autres intrants est dépensé autrement, et les rendements des cultures permettent de nourrir sainement les quatorze enfants. Dans le village de Ngouloul, à 12 km de Fatick, ils sont nombreux à relever la tête et sortir des années où la période de soudure (avant les premières récoltes) laissait les assiettes vides. Avec la conversion de la commune à l’agroécologie, le revenu des 52 petites exploitations agricoles familiales a augmenté de 190 % entre 2017 et 2019. Bien sûr, cette révolution ne s’est pas faite en un jour, ni sans efforts. Il a fallu apprendre et écouter les conseils de l’organisation Agrisud Internationale qui les accompagne depuis trois ans. Cette ONG de terrain fait le pari d’une agriculture durable en phase avec les territoires, et aide les petites entreprises familiales à rompre le cercle de la pauvreté en travaillant autrement.
Méthodes locales
Quand, en longeant une rangée de piments, Pape Dione remarque des petites fleurs blanches au sol, il cherche immédiatement conseil auprès de Khassime Mbodj pour comprendre comment éradiquer les insectes qui attaquent les plants. Après avoir observé les dégâts, le conseiller technique d’Agrisud avance sa réponse. « Les feuilles de neem peuvent éliminer les prédateurs, explique-t-il. Seulement s’il en reste après ce traitement naturel, il faudra cette fois utiliser des produits chimiques ». Le neem, ou margousier, est un arbrisseau dont les graines produisent une molécule aux propriétés insecticides et aux vertus thérapeutiques, notamment contre le paludisme.
Pape Dione aime encore bénéficier de l’œil du technicien, même si l’agriculteur est devenu responsable de formation auprès de quinze producteurs de son village. Il leur enseigne désormais comment fabriquer des pesticides et des engrais naturels, substituts aux produits chimiques, avec des cocktails de cendre, de fumier brut, de paille et de neem, qu’il laisse macérer.
Grâce à son puits, Diatta Diouf arrose ses piments plantés dans des cuvettes de façon ciblée.
« La région est aride et les terres étaient usées par la culture intensive de l’arachide, nous avons donc voulu appuyer le développement de l’agroécologie, moins consommatrice d’eau que l’agriculture classique », explique Alexandra Naud, responsable du service international de la région Nouvelle-Aquitaine. Et même si Fatick est à quelques dizaines de milliers de kilomètres de la Nouvelle-Aquitaine, les pratiques qui y sont développées peuvent intéresser les agriculteurs du Bordelais en quête, eux aussi, de pratiques plus écologiques et moins gourmandes en eau.
Ainsi, dans le cadre de sa politique de coopération décentralisée, la Nouvelle-Aquitaine a financé les deux tiers de l’accompagnement par Agrisud des six villages de six départements de Fatick et de Diourbel. Avec cette idée que les paysans développent leurs petits commerces.
Diversifier les sources de revenus
Dans le village de Mbamane, 43 femmes se sont associées en coopérative pour gérer un hectare et demi de terre. Une parcelle entourée par des anacardiers et acacias mellifères, qui protègent les cultures du vent et des animaux. « Au sein de cet hectare, l’espace a été divisé en 24 parcelles de 300 m2, toutes elles-mêmes protégées par des leucaena et des moringas, des petits arbres qui créent un microclimat », explique M. Mbodj, d’Agrisud. On y cultive tout ce qui est nécessaire pour nourrir les familles, et la production a progressé de 348 % entre 2017 et 2019, passant de 439 à 1 970 kg annuels de légumes variés. En plus de la diversification maraîchère, un séchoir moderne installé sur le bout du terrain va permettre de transformer les graines de mil en couscous. Et ce n’est qu’un début…
« Nous espérons bien développer ce volet transformation, afin d’améliorer encore la consommation de produits locaux et de diversifier nos sources de revenus », explique Marie Sène, la présidente de cette coopérative de femmes.
Les femmes de Mbamane, dans la région de Fatick, récoltent les piments.
Malgré toutes ces avancées, le problème de l’accès à l’eau reste récurrent. Non seulement peu d’eau de surface est accessible, mais elle a souvent un fort taux de salinité qui peut tuer les plantes. Alors, pour économiser l’eau non salée, les femmes de Mbamane utilisent un système de cuvette dans laquelle le plant est mis en terre, avec un apport localisé minimal en eau et paillent les plantations pour retenir l’humidité. Une technique qu’Agrisud développe ailleurs dans le monde car il faut « partager les bonnes pratiques », souligne Wagane Ndiaye, qui a cofondé le réseau des agroécologistes de la région de Fatick.
Et il compte le faire avec la jeunesse sénégalaise qu’il espère garder dans le pays comme force vive du développement du lieu. « Notre ambition est de lutter contre l’exil rural qui mène nos jeunes vers les grandes villes ou l’Europe », plaide-t-il, conscient du danger de ce mirage et du potentiel de la culture de la terre. Mais pour les garder, « il faut encore travailler de façon plus solidaire et en former un plus grand nombre à l’afroécologie », poursuit l’agriculteur militant, qui a construit dans sa ferme une pièce dédiée à la formation, équipée de bancs bleus et d’un tableau noir. Parce qu’à Fatick, depuis que la table est mieux garnie, on ose davantage regarder l’avenir en face.

Théa Ollivier/lemonde.fr/https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/20/au-senegal-miser-sur-l-agroecologie-pour-un-developpement-plus-durable_6056701_3212.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2iQ43zhglyz__ebxoeVbqJUP6DmEMUc-O4C6Z4O_50gkN-ZFQCT7v4c_A#Echobox=1603220500